Agrippina Minor. Life and afterlife. (französisch)

AGRIPPINA MINOR. LIFE AND AFTERLIFE, éd. M. Moltesen et A. M. Nielsen, Med. Ny Carlsberg Glyptotek, N. S. n° 9, Copenhague, 2007.

Ce très beau volume, richement illustré, est issu de l’histoire mouvementée d’un célèbre portrait en grauwacke égyptienne, acheté en 1887 par le musée danois au comte lithuanien Tyszkiewicz et représentant l’impératrice Agrippine. Ce portrait appartient à la série d’effigies romaines dont le catalogue a été publié en 1994/1995 par F. Johansen, après celui, déjà ancien, de V. Poulsen[1]. Il constitue l’un des fleurons d’une des plus importantes collections de ce genre.

La découverte sur le Célius des fragments d’une statue acéphale de même matière, reconstituée en 1993, a permis d’émettre l’hypothèse, aujourd’hui pratiquement vérifiée, selon laquelle portrait et statue formeraient un ensemble unique : il s’agirait d’une Agrippina orans, présentée dans les collections des Musées Capitolins (Centrale Montemartini, inv. N. 1882).

Cet heureux aboutissement de la collaboration entre spécialistes italiens et danois a donc permis de faire un nouveau point sur le personnage d’une des plus célèbres des “Louves du Palatin”, selon l’expression de J.-P. Néraudau[2], et le présent ouvrage vient compléter la monographie fondamentale consacrée par A. A. Barrett à l’impératrice Agrippine[3].

Seules deux études liminaires et un article final ont un caractère général. I. Gradel tente d’abord de préciser la part de vérité et de légende dans l’histoire complexe et tragique de la famille julio-claudienne, à l’intérieur de laquelle Agrippine occupe une place à part, mettant l’accent sur les incertitudes qui subsistent notamment à propos de sa responsabilité dans la mort de Claude. Puis P. Kragelund consacre un stimulant essai à ce qu’il appelle la “vengeance” ou la “revanche” (double sens de Revenge) d’Agrippine : ce serait dans l’évocation de l’impératrice assassinée et les propos qu’il lui prête, que l’auteur énigmatique de l’Octavie[4] réussit à conférer à la mère du prince- dont le souvenir ne cessera de hanter celui-ci- la renommée quasi éternelle qui est dévolue aux héros tragiques, renommée qu’une damnatio memoriae inavouée avait essayé d’abolir. La persistance de l’image d’Agrippine se manifeste d’ailleurs dans le succès que le personnage a connu au cinéma, de 1910 à 2005, comme le montre la suggestive étude de G. Pucci, qui clôt le volume.

Mais l’essentiel des contributions concerne la statue mentionnée plus haut, dont la tête appartient au type dit “Stuttgart” (type IV) des portraits de l’impératrice, selon la classification la plus récente proposée dans ce même volume par un des meilleurs spécialistes, W. Trillmich, qui reprend l’examen de la typologie, en modifiant quelque peu les précédents classements avec une répartition en cinq types[5].

Il semble s’agir, comme le propose I. Gradel, d’une effigie de l’impératrice représentée en tant que prêtresse (flaminica) de son époux divinisé, à l’intérieur du vaste édifice consacré, sur le Célius, au culte de Claude. Deux études, dues à E. Talamo et à C. Pavolini[6] concernent plus précisément les lieux où le corps de la statue a été découvert (en 41 fragments)[7] et qui ont subi maint bouleversement depuis le Bas-Empire.

Il paraît au total vraisemblable que cette Agrippina orans se trouvait dans le sanctuaire même dédié au Divin Claude, mais l’existence probable sur le Célius d’un édifice claudien lié au culte d’Attis et Cybèle laisse ouverte l’hypothèse d’un lien entre notre effigie et ce genre d’édifice.

L’image d’Agrippine prend place parmi une riche série de portraits liés aux julio-claudiens et figurant à la Ny Carlsberg Glyptotek, dont l’identification  a été proposée, depuis la fin de l’époque républicaine : c’est le mérite de l’étude de J. Stubbe Østergaard de faire le point sur cet ensemble, qui va d’un possible aïeul (abavus) de l’impératrice, Gaius Octavius, père biologique d’Auguste[8], mort en -59,  jusqu’à son fils Néron[9]

Les problèmes particuliers concernant l’Agrippina orans font l’objet de trois contributions. E. Talamo traite de la restauration et de la recomposition de la statue, à partir des 41 fragments qui en ont été retrouvés, avec trois moments successifs : à la fin du XIXe s., en 1939 lors de sa présentation au Museo Mussolini, puis en 1993 lors du remontage ultime dû à C. Usai, à la suite de l’heureuse hypothèse de R. Belli, qui a suggéré l’adaptation possible de la tête de Copenhague à la statue provenant du Célius. Il revenait à M. Moltesen de définir le type statuaire auquel appartient cet ensemble et dont le modèle privilégié  est la Livia orans du Vatican, qui figurait dans la Basilique d’Otricoli[10]. Ce type a sans doute une assez longue histoire, puisqu’on en trouve la première trace au -IVe s., dans l’effigie d’Artemisia, femme et sœur de Mausole, provenant d’Halicarnasse[11]. Agrippine est représentée, sur ce modèle, en tant que prêtresse du Divin Claude, comme Livie l’était  du Divin Auguste.

L’identification du buste avec celui d’Agrippine ne fait aucun doute, même si le portrait a subi des retouches, que le moulage effectué à partir de l’original permet de mieux déceler. M. Moltesen procède avec finesse à cet examen, en proposant un schéma vraisemblable de l’évolution du visage. Il aurait pu s’agir, à l’origine, d’une autre princesse de la famille, dont les traits auraient été retravaillés, comme certains l’ont pensé, mais l’idée selon laquelle il s’est toujours agi d’Agrippine, dont on aurait modifié l’aspect après la mort de Claude (pour des raisons mal définies), et dont on aurait beaucoup plus tard réutilisé l’effigie en la munissant d’un riche diadème paraît la meilleure hypothèse.

Le matériau  utilisé pour la statue est une pierre rare et précieuse, issue des carrières du Ouadi Hammamat en Haute Egypte (non loin de Louxor): il s’agit d’une espèce de grès quartzeux d’un gris-verdâtre, qui peut faire penser au bronze[12]. R. Belli Pasqua consacre une étude finale à la série d’œuvres exécutées en ce que l’on appelle grauwacke[13], pierre utilisée par les Egyptiens pour des images de divinités et de pharaons, mais dont on retrouve l’emploi à Rome notamment dans des portraits d’Auguste et de Livie. Cette pierre est ainsi devenue le symbole d’un pouvoir impérial qui s’était rendu maître du territoire d’où elle provenait. Le portrait d’Agrippine s’inscrit dans cette tradition.

On s’accordera pour reconnaître la richesse de cette publication, qui marque une étape importante dans l’étude de l’iconographie julio-claudienne, à l’occasion d’une reconstitution à mon sens tout à fait convaincante.

Jean-Michel Croisille, Université B. Pascal (Clermont-Ferrand)


[1] Ny Carlsberg Gl. , Roman Portraits I, 1994, n° 64, I. N. 753.

[2] J.-P. Néraudau, Les Louves du Palatin, Paris 1988.

[3] A. A. Barrett, Agrippina. Sex, Power and Politics in the Early Empire, New Haven-Londres 1996.

[4] Cette pièce suscite de plus en plus l’intérêt de la critique, et cela à juste titre. Les travaux de P. Kragelund s’inscrivent dans un courant novateur, qui tend à montrer l’importance d’une pièce unique en son genre et sans doute liée chronologiquement aux événements de la fin du règne de Néron.

[5] Cf. les classements de P. Zanker (1983) et de S. Sande (1985).

[6] Cette dernière n’est que le résumé d’un article antérieur.

[7] En même temps que les 119 fragments de  la “Victoire des Symmaque”, dont l’identification reste douteuse.

[8] Ny Carlsberg Glyptotek, I. N 1777 : identification d’ailleurs contestée

[9] Ny Carlsberg Glyptotek, I. N. 750 : Néron jeune (vers 50 ?).

[10] Musei Vaticani, Sala dei Busti, Inv. N 637.

[11] Actuellement au British Museum : BM Cat. I, n° 1001.

[12] Mentionné par Pline l’Ancien, NH XXXVI, 58, sous le nom de basanites.

[13] Anglais greywacke, italien grovacca. Le terme français (fém.) est calqué sur l’allemand.

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